Le dimanche 31 octobre 2010

Société

Mario Vargas Llosa croit injustement que le livre numérique entraînera une banalisation de la littérature

Mario Vargas Llosa est le récipiendaire du Prix Nobel de littérature 2010

Par S.A. Guay

La Fondation littéraire Fleur de Lys affiche son désaccord avec la déclaration du récipiendaire du Prix Nobel de littérature 2010 à l’effet que le livre numérique banalisera la littérature.

Prix Nobel de littérature 2019

« Ma crainte est que le livre numérique n’entraîne une banalisation de la littérature, ainsi que cela s’est produit pour la télévision, cette belle création de la technique, qui pour parvenir à toucher de plus en plus de personnes, a proposé des contenus largement vulgarisés. » — Mario Vargas Llosa, 15 octobre 2010, Prix Nobel de littérature 20101

La Fondation littéraire Fleur de Lys affiche son désaccord avec la déclaration du récipiendaire du Prix Nobel de littérature 2010 à l’effet que le livre numérique banalisera la littérature.

L’Institut Nobel a remis son très prestigieux prix littéraire 2010 au péruvien Mario Vargas Llosa «pour sa cartographie des structures du pouvoir et ses images aiguisées de la résistance de l’individu, de sa révolte et de son échec»2 . Or, le livre numérique s’inscrit parfaitement dans la «résistance de l’individu» et sa «révolte» face aux «structures du pouvoir» de l’industrie du livre. Et à cette heure, cette résistance et cette révolte de l’individu ne débouchent pas sur un «échec» mais sur un succès indéniable, celui de la démocratisation de l’accès à l’édition.

En effet, la particularité première du livre numérique est d’offrir aux auteurs une alternative aux pouvoirs établis du milieu du livre qui refusent de publier leurs oeuvres. Plus de 90% des manuscrits soumis aux éditeurs par nos auteurs, amateurs et professionnels, connaissent une fin de non recevoir. La littérature défendue ici et là se résume donc à moins de 10% des écrits de nos auteurs. Dans ce contexte, le livre numérique met à la disposition des auteurs un moyen de rejoindre tout de même des lecteurs potentiels. Peu dispendieux à produire et à distribuer, le livre numérique est à la portée de tous les auteurs aujourd’hui. Les estimations du coût de production d’un livre numérique oscillent entre 4% et 10% du coût d’un livre papier. Imprimée sous la forme d’un simple fichier PDF à partir d’un fichier de traitement de texte, l’oeuvre accède au titre de livre numérique dans le format de document le plus accessible et le plus populaire actuellement sur Internet. Et le coût de production peu être réduit au seul temps requis pour la correction, la révision, la mise en page et la production du fichier final puisque plusieurs logiciels gratuits sont à la disposition de l’auteur. Pour sa part, le lecteur n’aura pas à débourser un sou pour accéder au logiciel nécessaire à l’ouverture du fichier et à la lecture de son contenu sur l’écran de son ordinateur, de son livre électronique et même de son téléphone cellulaire.

Ainsi, grâce aux nouvelles technologies numériques, l’auteur dont manuscrit est refusé par les éditeurs traditionnels, l’auteur peut tout de même publier son oeuvre à un coût très abordable au lieu de la remiser au fond d’un tiroir.

Le récipiendaire du Prix Nobel de la littérature 2010 fonde sa crainte de banalisation de la littérature par le livre numérique sur sa perception des conséquences de la télévision à la recherche de plus en plus de téléspectateurs : «(…) ainsi que cela s’est produit pour la télévision, cette belle création de la technique, qui pour parvenir à toucher de plus en plus de personnes, a proposé des contenus largement vulgarisés.» Où est le problème puisque le rôle de la télévision consiste principalement à «répandre (des connaissances) en mettant à la portée du grand public»3 , bref, à vulgariser. Informer sans vulgariser nous apparaît impossible de nos jours, c’est une simple question de compréhension par le plus grand nombre possible de gens. Et au fil des ans, la vulgarisation tout azimut a permis le développement de véritables passions au sein de la population, d’où l’expansion de la télévision en de nombreuses chaînes spécialisées. Ainsi, la vulgarisation ne conduit pas automatiquement à un appauvrissement du contenu.

Car au-delà de la technologie, c’est bel et bien de qualité du contenu véhiculé dont il est question. Mario Vargas Llosa déclare: «Il dépend de nous d’imposer que le livre électronique conserve la richesse de contenu qu’a eu tout au long de l’histoire le livre de papier»4 . Voilà donc le chat finalement sorti du sac : la référence au contenu du livre papier tel que sélectionné par le pouvoir en place. Une sélection de moins de 10% des écrits guidée davantage par des impératifs commerciaux qu’éditoriaux. Même soutenus par l’aide financière plutôt généreuse de l’état, cette sélection s’exécute encore et toujours sous l’emprise des lois meurtrières du marché commercial dont celle de l’offre et de la demande. Bien sûr, on compte des exceptions à la règle mais cette dernière demeure prédominante dans le choix de ce qui sera ou non publié. Le récipiendaire du Prix Nobel de littérature 2010 souhaite que cette sélection soit imposée au contenu du livre électronique.

Mario Vargas Llosa se montre ainsi en contradiction directe avec les avantages propres aux nouvelles technologies et leurs conséquences dont la démocratisation de l’accès à l’édition fait partie. Le contenu affiché sur un livre électronique ou tout autre écran ne doit absolument pas suivre les traces de l’histoire du contenu du livre papier pour de multiples raisons inhérentes au temps présent, dont les trois ci-dessous.

Premièrement et contrairement au début de la carrière commerciale du livre papier à la suite de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, le livre numérique et le livre électronique émerge au sein d’une population qui sait lire et écrire et de loin beaucoup plus instruite. On peut toujours critiquer l’enseignement actuelle sous toutes ses coutures, privé et public, mais le chemin parcouru est indéniable.

Deuxièmement, la démocratisation de l’accès à l’instruction a eu pour conséquence une forte augmentation de l’intérêt pour l’écriture au sein de la population. Or, si nous laissons entre les seules mains de l’industrie du livre le sort des fruits de cet intérêt, nous reculons au lieu d’avancer. S’il n’y a pas davantage d’auteurs, amateurs et professionnels, qui peuvent être lus, l’intérêt pour l’écriture développé d’arrache-pied depuis les cinquante dernières années, en dépit de la popularité de la radio puis de la télévision, s’estompera voire disparaîtra au sein de la population. Il faut beaucoup de courage aujourd’hui pour écrire lorsqu’on sait que l’on a moins de 10% des chances d’être publié et lu. Les nouvelles technologies ne doivent pas servir uniquement le pouvoir établi de l’industrie du livre papier. L’avenir du livre ne se limite pas à une simple numérisation des livres papiers édités par ce pouvoir.

Troisièmement, la richesse de la littérature ne relève pas uniquement de sa qualité à titre d’art et dont la maîtrise réunit une élite. La richesse de la littérature, comme de tout autre art, se fonde plutôt sur le témoignage le plus fidèle et, par conséquent, le plus large possible, qu’elle rend de la réalité de son époque, ce qui implique non pas uniquement l’élite mais l’ensemble de la population. Prenons en exemple ces photographies anciennes conservées comme de l’or en barre dans les bibliothèques nationales et les musées, ces photographies d’amateur, mal cadrées, parfois floues et souvent tachées d’acide au développement. Ces photographies demeurent très souvent le seul et unique témoignage de leur temps. Si nous n’avions conservé que les photographies anciennes réalisées par les photographes professionnels, la perception de notre histoire serait loin de refléter fidèlement la réalité de l’époque. Il en va de même dans le monde de l’écrit. Grâce aux nouvelles technologies, nous pouvons éditer et ainsi conserver les écrits d’un plus grand nombre d’auteurs pour livrer un témoignage plus fidèle de notre réalité, à nous-mêmes et à nos descendants. Et il ne s’agit pas ici d’une ouverture réservée aux amateurs car même les écrivains professionnels éprouvent aujourd’hui des difficultés à trouver un éditeur traditionnel.

Finalement, Mario Vargas Llosa ne peut pas soutenir d’une main que «Les lettres et les arts ont constitué jusqu’à maintenant le dénominateur commun de la culture, l’espace où est rendue possible la communication entre les êtres humains malgré la différence des langues, des croyances et des époques»5 et de l’autre qu’«Il dépend de nous d’imposer que le livre électronique conserve la richesse de contenu qu’a eu tout au long de l’histoire le livre de papier»6 . Les termes «dénominateur commun», «espace», «communication», «différence» et «richesse» ne riment pas avec l’accès restreint dont l’histoire du livre papier témoigne cruellement.

Serge-André Guay, président éditeur
Fondation littéraire Fleur de Lys

  1. Source: AFP []
  2. Source: communiqué de presse de l’annonce du prix []
  3. Source: Le Grand Robert de la langue française []
  4. Source : AFP []
  5. Source : AFP []
  6. Source : AFP []

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Profil: En juin 2003, Serge-André Guay met sur pied la Fondation littéraire Fleur de Lys, premier éditeur libraire francophone sans but lucratif en ligne sur Internet.

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Cet article de 1,405 a été rédigé par Serge-André Guay il y a 13 ans et 5 mois, le dimanche 31 octobre 2010.

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