Le lundi 16 juillet 2012

QuébecÉconomie

Crise étudiante et choix de société: Financer le primaire et le secondaire ou le post-secondaire?

Il ne manque pas de fonds pour soutenir en priorité l’éducation

Par Kim Cornelissen

L’un des problèmes, c’est que l’éducation est vue comme une dépense alors que le Plan Nord est vu comme un investissement; dans un monde où il n’y avait pas d’humains, ce serait peut-être vrai. Mais au XXIe siècle, c’est se tirer dans le pied comme société que de penser ainsi.

Dans le débat sur la crise étudiante, certains1 questionnent le choix de société de financer les études post-secondaires, que ce soit par le gel des frais de scolarité ou encore la gratuité scolaire.  On propose plutôt de prioriser l’éducation primaire et secondaire.  L’argument est à l’effet que le choix de société à faire, c’est de financer correctement les niveaux primaires et secondaires, puisque les personnes les plus éduquées gagneront beaucoup plus d’argent que celles qui n’ont pas pu aller à l’université, faute d’une éducation adéquate au primaire et au secondaire.  Il y a deux problèmes majeurs dans ce raisonnement.

Le premier, c’est que tous les niveaux d’éducation sont également importants et demandent à être financés adéquatement.  Dire qu’il faut mettre l’accent sur le primaire et le secondaire, c’est comme dire qu’il faut plutôt prioriser l’alimentation de son enfant quand il est petit que quand il est ado (surtout qu’il peut travailler pour se nourrir, n’est-ce pas?).  L’angle de discussion n’est donc pas le bon et la question des « besoins illimités et de ressources toujours limitées » ne se tient pas non plus.  Le budget du Québec doit être vu de façon globale et non de façon sectorielle.

Dans une société où 76 % des emplois sont présentement dans le secteur des services et où ce sont les emplois qualifiés qui sont difficiles à combler ou à maintenir, il n’y a pas deux choix de société à faire : il faut protéger ce que nous avons de plus précieux pour soutenir notre économie post-industrielle. Dans ce contexte, tout ce qui a trait au développement humain est crucial : l’éducation bien sûr, mais également le soutien à la R&D, la santé, l’environnement, la culture et les loisirs, et j’en oublie.

Or, le gouvernement fait exactement le contraire : il utilise nos fonds pour continuer de soutenir un développement économique basé sur nos ressources naturelles (pré-industriel) et dont nous ressortons de plus en plus perdants.   Et la situation ne pourra qu’empirer : les ressources naturelles existent dans bien des pays, qui ont des conditions plus avantageuses que les nôtres (coût de la main-d’œuvre non spécialisée, matières premières, faible réglementation environnementale et sociale, paradis fiscaux, etc.).  Les entreprises utilisent cette situation pour négocier continuellement à la baisse et pour imposer des conditions qu’il faut accepter pour les accueillir.  L’exemple du Plan Nord est éloquent à cet égard.  En soutenant un développement économique de type auto-colonisé, le Québec perd sa spécificité, celle de développer une main-d’œuvre qualifiée et innovatrice que l’on ne retrouverait pas ailleurs.  C’est ce qui attire les investissements étrangers dans les pays nordiques, où l’éducation à tous les niveaux est une priorité.

Il ne manque pas de fonds pour soutenir en priorité l’éducation; c’est effectivement un choix de société mais c’est également la clé entre survivre et bien vivre.  Pour en revenir à l’analogie parentale, un budget familial doit être vu de façon globale et non sectorielle : si la nourriture coûte plus cher, on économise ailleurs, on remet à plus tard certaines rénovations, on va en vacances au Québec plutôt qu’une croisière en Alaska, etc.   On ne choisit pas entre nourrir les ados ou les plus jeunes.

L’autre problème majeur de ce raisonnement, c’est l’idée que les gens très éduqués gagneront plus d’argent, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.  De fait, les exemples qui vont dans le sens contraire sont nombreux:  ce que l’éducation apporte, c’est davantage de liberté2, pas nécessairement de revenus.

Par exemple, de nombreuses personnes dans les milieux environnementaux et humanitaires et d’éducation populaire acceptent de mettre au profit du bien commun leurs connaissances et redonnent ainsi à la société ce dont ils ont profité.  Ce sont des emplois souvent fort mal payés mais qui sont essentiels à la société, y compris pour que les enfants puissent se rendre à l’université.  À l’inverse, les travailleurs du Plan Nord et des grands chantiers de construction gagnent des salaires élevés alors que leur niveau d’éducation n’est souvent pas très élevé.

L’un des problèmes, c’est que l’éducation est vue comme une dépense alors que le Plan Nord est vu comme un investissement; dans un monde où il n’y avait pas d’humains, ce serait peut-être vrai.  Mais au XXIe siècle, c’est se tirer dans le pied comme société que de penser ainsi.  C’est bien le contraire qui est vrai : l’éducation est un investissement rentable pour toute la société – et non seulement pour celles et ceux qui poursuivent leurs études au niveau le plus élevé possible.  Et le Plan Nord est une dépense.  Qui semble de moins en moins justifiée3.  Le choix de société ne se situe pas entre soutenir l’éducation primaire et le secondaire ou l’éducation post-universitaire : il se situe entre pérenniser une vision économique du XIXe siècle ou d’investir dans celle où nous sommes en ce moment.

Kim Cornelissen est propriétaire de Bebop et cie, une micro-entreprise en développement régional et international, dont les pays nordiques.

  1. Un choix de société? []
  2. Économie – Plus d’études = plus de liberté (et peut-être plus d’argent)! []
  3. Science et environnement – Un portrait inquiétant pour le Québec []

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Cet article de 832 a été rédigé par Kim Cornelissen il y a 11 ans et 9 mois, le lundi 16 juillet 2012.

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