Le dimanche 3 juillet 2011

PolitiqueInternational

Saleté de fédéralisme

Le fédéralisme est une machine à aplatir les différences

Par Richard Le Hir

Pour les Québécois que nous sommes, il y a quelque chose d’assez déconcertant à voir certains intellectuels européens hautement respectés qui ont fréquenté les allées du pouvoir affirmer que le fédéralisme peut constituer une solution aux problèmes que rencontre l’Europe, notamment dans le cas de la Grèce.

Pour les Québécois que nous sommes, il y a quelque chose d’assez déconcertant à voir certains intellectuels européens hautement respectés qui ont fréquenté les allées du pouvoir affirmer que le fédéralisme peut constituer une solution aux problèmes que rencontre l’Europe, notamment dans le cas de la Grèce.

À en croire, Jacques Attali, un des meilleurs représentants de cette caste,

« L’on doit affronter une évidence, que l’on connaît depuis longtemps : aucune zone monétaire commune ne peut durer sans un pays dominant (comme la zone Franc) ou sans une forme de fédéralisme (comme aux États-Unis). » Il aurait pu rajouter « ou au Canada ».

Et Attali de :

« Il est urgent pour l’Europe de trouver une solution de sortie par le haut, permettant de sortir réellement de la crise et non de la repousser, telle la mise en place d’un « plan Brady européen » concerté, et de parvenir à relancer l’innovation par la mise en œuvre d’un grand emprunt européen.

L’Europe, à ce jour, est la plus grande économie mondiale, devant les États-Unis et la Chine. Nous avons les moyens économiques ; l’Europe doit redevenir politique. »

Et une Europe « politique », c’est une Europe fédérale. Qu’importe si les populations concernées demeurent réservées sur l’opportunité de s’engager dans cette direction comme l’ont démontré certaines consultations populaires, notamment en France sur la constitution européenne en 2005, qu’importe si certains gouvernements ont défié leur opinion publique en ratifiant des ententes auxquelles leur électorat était hostile, qu’importe si l’expérience des pays à structure fédérale n’est pas toujours probante.

Nous savons, nous, comme Québécois, que le fédéralisme est une machine à aplatir les différences, même celles auxquelles nous tenons parce qu’elles nous permettent d’exprimer notre identité et nos particularités. Nous connaissons les tensions que génère le fédéralisme lorsqu’il cherche à redistribuer la richesse entre les états, les provinces et les territoires qu’il prétend « unir ». Nous savons que ces unions portent en elles les germes de la séparation.

Aussi séduisante l’approche fédéraliste puisse-t-elle apparaître, elle se révèle rapidement être un remède pire que le problème qu’elle cherche à corriger quand elle se heurte au mur des réalités: la réalité des intérêts différents, des besoins différents, des situations différentes, des ambitions différentes, des valeurs différentes, des langues et des cultures différentes, sans oublier la réalité qu’il est toujours beaucoup plus facile de partager la richesse que de partager la misère, comme les européens sont maintenant appelés à le faire pour venir en aide d’abord à la Grèce, et bientôt au Portugal, à l’Irlande, à l’Espagne, à l’Italie, et à tous les autres pays moins forts sur le plan économique que l’Allemagne et la France.

On apprend à la petite école qu’une chaîne n’est jamais plus forte que le plus faible de ses maillons. Il y a donc quelque chose de franchement irresponsable et inquiétant dans le refus des autorités européennes d’admettre que leur modèle de développement n’est pas soutenable et que leur insistance à pousser l’expérience plus avant ne fera qu’aggraver une situation déjà difficile, et faire courir à leur population des risques encore plus importants.

Les dirigeants politiques cherchent donc à gagner du temps, comme s’il allait arranger les choses, alors que tous les indicateurs démontrent désormais le contraire. Et il ne s’en trouve pas un seul parmi eux à avoir le courage d’être le premier à reconnaître publiquement que l’union européenne était une utopie. Ils vont préférer fermer les yeux et jouer le jeu jusqu’au bout, dans l’espoir très égoïste de survivre politiquement à l’effondrement désormais inéluctable.

Mais si l’on peut certainement comprendre (mais certainement pas accepter) le jeu des politiques, il est beaucoup plus difficile de comprendre le jeu des intellectuels comme Attali. À moins qu’ils ne croient être en mesure de bénéficier personnellement des tentatives qui pourraient être faites pour rescaper le système (et c’est certainement une possibilité dans le cas d’Attali qui a assumé de tels rôles dans le passé, notamment à la tête de la BERD de 1990 à 1993), les seules explications possibles à leur soutien de thèses utopistes est leur méconnaissance des réalités ou leur conviction profonde que la « raison » doit l’emporter sur celles-ci lorsqu’elle incarne le « mieux ».

Quoiqu’il en soit des dirigeants politiques et des intellectuels, le fait demeure que l’Europe a accumulé au cours des dernières années un important déficit démocratique. Il s’est creusé un fossé profond entre les élites et le peuple, et l’histoire nous enseigne que ce genre de fossé finit toujours par provoquer des crises graves qui dans leur forme la plus exacerbée prennent le nom de révolutions. Les temps s’annoncent difficiles.

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Article original: Vigile.net - Richard Le Hir

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Profil: Avocat et conseiller en gestion, ministre délégué à la Restructuration dans le cabinet Parizeau (1994-95)

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Cet article de 757 a été rédigé par Richard Le Hir il y a 12 ans et 9 mois, le dimanche 3 juillet 2011.

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