Le mardi 10 mai 2011

PolitiqueQuébec

Le seul fil qui retient encore le Québec au Canada est le NPD

Non, les Québécois n'ont pas perdu le Nord

L'indépendance du QuébecCanada ]

Par Richard Le Hir

Les Québécois n’ont donc pas du tout perdu le Nord à l’occasion de la dernière élection. S’ils ont laissé tomber le Bloc, c’est qu’ils ont senti que sa présence ne faisait pas avancer le débat. En appuyant aussi massivement le NPD, ils font bouger les lignes, non pas au péril du Québec, mais au péril du Canada.

Avec mes remerciements à MM. Michel Dion et Gérald McNichols Tétrault pour m’avoir, dans leurs articles et leur débat, montré tout l’intérêt de la Boussole électorale.

***

À quelques jours du début de la campagne électorale qui vient de se terminer, m’appuyant sur un texte que j’avais écrit au lendemain de la campagne électorale fédérale précédente, j’écrivais, dans « Le Canada est sur le bord de l’implosion » :

« Combien de temps le Canada est-il encore capable de tenir avec la présence à Ottawa d’une forte représentation du Québec qui refuse de participer au gouvernement du pays ailleurs que dans l’Opposition ? Réponse : pas très longtemps. »

On sait maintenant que le Québec a choisi une fois de plus de se ranger dans l’opposition, sous la bannière du NPD cette fois-ci. Mais l’important est que le Québec est une fois de plus dans l’opposition, et que cette opposition n’a jamais été aussi claire. En effet, le 2 mai, le Québec a dit très clairement qu’il ne voulait rien savoir de la direction dans laquelle le Canada est engagée.

Comme cette direction est incarnée par le parti Conservateur, le Québec a choisi d’appuyer le parti fédéraliste qui se situe aux antipodes du Parti Conservateur, le NPD. En appuyant aussi massivement le NPD (42,9 %) il s’est trouvé non seulement à répudier le Bloc Québécois (23,4 %) qu’il appuyait majoritairement depuis presque vingt ans, mais il a aussi signifié très clairement au Parti Libéral du Canada qu’il pouvait encore moins l’appuyer que le Parti Conservateur (14,2 % PLC, 16,5 % PCC).

Le rejet des deux vieux partis (le PCC et le PLC) est irrémédiable, l’un pour cause d’incompatibilité de valeurs, l’autre pour cause de trahison.

En effet, les valeurs défendues par le PCC (même s’il serait plus juste de parler du Reform Party qui s’est retrouvé à prendre le nom de l’ancien Parti Progressiste-Conservateur après que celui-ci eût été balayé de la carte à la fin des années Mulroney), les valeurs de la droite républicaine américaine, sont à l’opposé des valeurs sociales-démocrates des Québécois.

Quant au PLC, ses appuis sont en chute libre au Québec depuis la Nuit des longs couteaux en 1981, le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982, la répudiation de l’Accord du lac Meech en 1990, le « love-in » de 1995, la Loi sur la clarté en 2000, le scandale des commandites en 2005, le scandale Option-Canada en 2007, et l’effet halo du désaveu de Jean Charest et du PLQ. Ça fait beaucoup pour un même parti, et cette année, même ses appuis les plus irréductibles ont commencé à lui faire défaut. Il ne s’en remettra jamais, et c’est pourquoi ses principaux dirigeants parlent désormais d’une fusion avec le NPD.

Quant à ce dernier, il est parvenu à faire élire 58 députés au Québec en plantant une forêt de poteaux, lui qui n’était jamais parvenu à y faire élire plus qu’un député à l’occasion d’une élection. Même dans ses rêves les plus fous, le NPD n’aurait jamais osé penser faire élire plus de 5 députés au Québec cette fois-ci. Au moins 70 de ses candidats étaient donc des poteaux, et sur le nombre, en lui concédant 5 espoirs légitimes, 52 de ces candidats poteaux ont été élus.

Le NPD n’a aucune racine profonde au Québec, son organisation y est embryonnaire, il n’était pas préparé à la mission qui lui échoit, il a dans le passé tenu des positions qui heurtent de front la sensibilité des Québécois et qui vont diamétralement à l’encontre de leurs intérêts et de ceux du Québec. Dire que les tensions risquent d’être vives est un euphémisme ! Et des voix (de toute façon suspectes) de s’élever aussitôt pour acclamer la démocratie ! C’est plutôt de « démocrassie » qu’il s’agit.

Avant d’examiner le cas du Bloc, et pour comprendre le rejet dont il a été victime, il faut comprendre le contexte dans lequel les Québécois et les Canadiens avaient à se prononcer, un contexte constitué d’enjeux, et leur positionnement face à ces enjeux. Or, malgré les réserves qu’il faut avoir sur le procédé, largement compensées par la taille et la représentativité de son échantillonnage (1 952 540 personnes au 9 mai), c’est la Boussole électorale de Radio-Canada qui nous renseigne le mieux.

Selon l’information sur le site Boussole électorale

La Boussole électorale est un outil d’éducation sur les élections. Elle vise à encourager la participation et à stimuler la discussion sur les plates-formes des partis.

La Boussole est conçue pour offrir des informations sur la place des partis dans le paysage politique. On y trouve une importante base de données qui permet aux utilisateurs de comparer leurs opinions sur une série de questions avec celles des partis politiques. Notre équipe de chercheurs a épluché discours, programmes, déclarations politiques et transcriptions d’entrevues pour offrir aux électeurs une vue claire et concise des positions des partis.

Les professeurs André Blais (Université de Montréal), Elisabeth Gidengil (Université McGill), Richard Johnston (Université de la Colombie-Britannique) et Neil Nevitte (Université de Toronto) [ont supervisé] le projet […].

La Boussole électorale posait 30 questions qui résumaient les enjeux sur lesquels les Canadiens de toutes les provinces estimaient avoir à se prononcer lors du dernier scrutin. Or à chacune de ces 30 questions les Québécois ont répondu de façon presque diamétralement opposée à celle ses autres Canadiens, illustrant on ne peut plus graphiquement la profondeur du fossé qui les sépare.

À ce degré d’opposition, on est porté à se dire que s’il y avait eu dix ou quinze questions de plus, les résultats n’auraient fait qu’illustrer encore davantage le caractère irréconciliable des différences.

En fait, le résultat des élections et les réponses apportées aux questions de la Boussole électorale nous permettent de comprendre que le Canada a, à toutes fins pratiques, implosé, et que le seul fil politique qui retient désormais le Québec au Canada est le NPD. La simple énonciation de ce fait nous permet de comprendre l’ampleur du défi qui attend le NPD et toute son impréparation.

Voilà qui jette un tout autre éclairage sur la défaite du Bloc Québécois. En effet, ce que la Boussole politique nous montre, les Québécois le pressentaient intuitivement, et ils ont jugé que le moment était venu de recourir à une autre stratégie, presque machiavélique, pour éviter de se retrouver dans le piège de 1995 où ils ont offert au ROC le spectacle de leur division sur la question de l’accession à l’indépendance et lui ont permis ce faisant de s’immiscer dans le débat et d’en fausser l’issue.

Les Québécois n’ont donc pas du tout perdu le Nord à l’occasion de la dernière élection

S’ils ont laissé tomber le Bloc, c’est qu’ils ont senti que sa présence ne faisait pas avancer le débat, qu’elle les condamnait à l’immobilisme, un immobilisme dont s’accommodait au fond fort bien le ROC. En appuyant aussi massivement le NPD, ils font bouger les lignes, non pas au péril du Québec, mais au péril du Canada. On joue désormais sans filet, et le moindre dérapage sera difficilement rattrapable.

Au fond, ce que les Québécois souhaitent, c’est que le jour où ils seront de nouveau consultés sur l’avenir du Québec, la question soit déjà réglée d’avance, et que le référendum ne soit plus qu’une formalité. Les réponses apportées aux questions 25, 26 et 27 du questionnaire de la Boussole électorale garantissent en effet que la question leur sera éventuellement posée.

Non seulement le ROC refuse-t-il totalement de reconnaître le Québec comme une nation (Q. 26), mais en plus il prétend que le gouvernement fédéral devrait avoir son mot à dire dans les décisions concernant la culture au Québec (Q. 25). Difficile d’aller plus loin dans la provocation. Quant au Québec, les Québécois estiment qu’il devrait devenir un État indépendant, et le reste du Canada s’y oppose catégoriquement.

Plusieurs analystes estiment que, en évacuant le Bloc, les Québécois ont signifié très clairement leur intention de rapatrier au Québec le débat sur l’indépendance. En toute déférence, je crois qu’ils se trompent. Les Québécois ont justement décidé de faire tout le contraire. Leur souvenir des déchirements provoqués par les débats référendaires est trop cuisant pour qu’ils s’y engagent sans la certitude de l’emporter. Il faut donc d’abord que le Canada s’écrase.

Il est bien parti.

Un commentaire à cet articleFlux RSS des commentaires

  1. 1 Les Québécois veulent-ils vraiment Legault? - AmériQuébec Le 16 juin 2011 à 15h34

    […] Ce que nous montrent donc les résultats de l’élection du 2 mai et le dernier sondage Léger Marketing/Le Devoir, c’est, dans le premier et le second cas, ce que les Québécois rejettent, avec en plus dans le second cas, la recherche de nouvelles approches que, « pour l’instant », Legault semble incarner. […]

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Article original: Vigile.net

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Profil: Avocat et conseiller en gestion, ministre délégué à la Restructuration dans le cabinet Parizeau (1994-95)

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Cet article de 1,353 a été rédigé par Richard Le Hir il y a 12 ans et 10 mois, le mardi 10 mai 2011.

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