Le samedi 6 novembre 2010

QuébecPolitique

Cap sur l’indépendance, et exit la souveraineté-association

La souveraineté-association n’était donc qu’une stratégie pour améliorer la situation des Québécois sans aller jusqu’à l’indépendance

L'indépendance du Québec ]

Par Richard Le Hir

Regardez bien où est situé le Québec et la position privilégiée et stratégique qu’il occupe. Après l’indépendance, s’il n’y a pas d’association, il n’y aura plus de Canada, il sera partagé en deux. Après l’indépendance, c’est le Canada qui nous courra après pour mettre sur pied une association. Sans association, Toronto ne sera qu’un croupion, et l’Ontario une grande banlieue du Michigan. Vous avez vu dans quel état est le Michigan ?

Pour une option qu’on se plait à déclarer moribonde en certains milieux, je suis agréablement surpris de tout l’intérêt qu’elle suscite. Au point que notre classe politique et médiatique est en plein rattrapage.

Hier on parlait dans les rangs du PQ de l’actualisation des études de 1995, ce qui m’a permis tout de suite de préciser, sur la base de l’expérience que j’ai intimement vécue à cette époque, qu’il s’agissait d’une idée parfaitement saugrenue, même si par ailleurs il serait nécessaire de réaliser toute une série d’études, dans une toute autre optique et dans un tout autre cadre.

Aujourd’hui, c’est André Pratte, un militant actif du syndicat des fossoyeurs de l’indépendance du Québec qui sévit à La Presse, financée comme chacun sait en sous-main et à fonds perdus par l’empire Desmarais, qui vient ajouter son grain de sel.

Il commence par me donner raison en indiquant que la reprise de ces études ne nous apprendrait rien que nous ne sachions déjà. Mais chez Pratte, le mensonge côtoie toujours la vérité, question de donner au premier toutes les apparences de la vérité (tout le monde sait qu’il n’est pire mensonge qu’une demie-vérité). Et ici, le mensonge, c’est que ces études, au nombre de 37, auraient toutes été rendues publiques dans les jours qui ont précédé le référendum « Les 37 documents ont finalement été publiés en catastrophe, deux jours avant le début de la campagne référendaire », ce qui est évidemment faux. Les études ont été rendues publiques sur plusieurs mois, même s’il est vrai qu’un petit nombre d’entre elles l’ont été dans les derniers jours.

Si je prends la peine de relever ce mensonge somme toute peu important dans le contexte de l’ensemble de son message, c’est tout simplement pour montrer toutes les libertés qu’il est prêt à prendre avec la vérité dans son combat contre « l’hydre » indépendantiste. André Pratte ne recule pas devant le mensonge. C’est même une arme essentielle de son combat contre nous.

Cela dit, il s’inquiète (quelle belle sollicitude!) du caractère assez vague du Plan Marois sur « … la forme que prendrait une éventuelle indépendance. Y aurait-il une union monétaire avec le Canada? Un parlement commun? Qu’arriverait-il si les négociations échouaient? Mystère. Devant ce flou considérable, c’est à se demander ce que les experts mandatés par Mme Marois étudieront exactement. »

Il faut d’abord souligner qu’André Pratte n’est pas le seul à s’inquiéter du « flou » des propositions Marois. Un bon nombre d’indépendantistes sont dans le même cas, mais au moins leur inquiétude est-elle sincère. Mais les questions qu’il soulève ont au moins le mérite de nous permettre de liquider un certain nombre de choses qui empoisonnent nos débats depuis fort longtemps, et tout particulièrement la fameuse question de la souveraineté-association.

On se souviendra des débats passionnés qui avaient déchiré dès la fin des années soixante le mouvement indépendantiste sur l’opportunité ou non de proposer aux Québécois une indépendance « dure » ou une version édulcorée de celle-ci qui allait devenir la « souveraineté-association ».

Il faut se replacer dans le contexte de l’époque pour comprendre que l’indépendance apparaissait alors pour la plupart des Québécois comme une option radicale et aventureuse. Conscient de la crainte qu’inspirait alors aux Québécois la perspective de se lancer dans l’indépendance sans filet de sécurité économique et politique, et soucieux de faire malgré tout progresser le Québec dans la bonne direction, René Lévesque et quelques autres autour de lui avaient tricoté sur mesure une option qui permettait, au moins en apparence, de ménager la chèvre et le chou : la souveraineté-association, le trait d’union étant censé montrer aux yeux de tous que l’une n’allait pas sans l’autre.

Si tout le monde peut assez facilement comprendre les craintes économiques qu’inspirait alors l’indépendance dans la mesure où l’économie québécoise était alors beaucoup moins évoluée qu’aujourd’hui et que les francophones étaient alors loin d’avoir l’expérience économique qu’ils ont acquise aujourd’hui, il est en revanche beaucoup plus délicat d’analyser les fondements de l’insécurité des Québécois sur le plan politique.

Aussi difficile la chose soit-elle à accepter pour des esprits indépendants, il y a encore chez certains Québécois un complexe de colonisé qui les porte à accepter la soumission à l’ordre établi, voire même à l’exalter, même si cet ordre les bafoue. C’est la manifestation collective du syndrome de Stockholm qui amène certaines personnes prises en otage ou en captivité à faire cause commune avec leurs bourreaux. Sur le plan collectif, on passe éventuellement de la soumission à l’assimilation.

Il y a également une autre catégorie de Québécois qui, sans être aussi timorés que les premiers, ont des doutes sur la capacité du Québec de mener seul sa barque et redoutent d’être entraînés dans des dérives dont ils feraient les frais. Ils sont enclins à privilégier le statu quo aussi longtemps qu’ils ne perçoivent pas de menace réelle à leur identité.

Et il y a les autres, ceux qui en 1980 et 1995 ont voté Oui et auraient voté Oui quelle qu’ait été la question. Pour eux l’indépendance du Québec est la chose la plus naturelle du monde, elle va de soi.

La souveraineté-association a été conçue pour ne pas faire peur aux premiers et convaincre les seconds. Et les résultats des deux référendums constituent une mesure du succès de cette stratégie.

Mais il s’est passé en 1998 quelque chose d’assez extraordinaire. La Cour suprême du Canada est venue dire que, contrairement à une opinion largement répandue tant chez les anglophones que chez les francophones, la sécession du Canada était possible à certaines conditions, et advenant que ces conditions soient satisfaites par une province, le gouvernement fédéral aurait l’obligation de négocier de bonne foi avec celle-ci les modalités de son retrait, ce qui inclut le partage des actifs et des passifs.

Il faut relire le Projet de Loi no 1 de 1995 et le texte de l’entente entre le PQ, le BQ et l’ADQ, chose que je n’avais pas faite depuis 1995, pour mesurer à quel point le souci de ménager les craintes des premiers et de convaincre les seconds était omniprésent. Et la question des négociations avec le Canada était bien davantage au cœur du projet (les écrits parlent) que celle de l’indépendance dont l’échéance était repoussée dans l’avenir.

On peut reconnaître dans ces deux textes l’influence de Lucien Bouchard et l’on peut mesurer avec le recul du temps combien il était bien davantage motivé par la perspective des négociations que par celle de l’indépendance. En bon négociateur qu’il est, il avait confiance que, dans le cadre d’une négociation, il parviendrait à tirer un lapin de son chapeau et déboucher sur une formule qui serait suffisamment attrayante pour pouvoir emporter l’adhésion des Québécois sans qu’il soit nécessaire d’aller jusqu’à l’indépendance.

Je me souviens d’avoir ressenti un profond malaise en lisant ces textes en 1995. Tout cela nous était présenté comme étant absolument nécessaire pour gagner. Pour ma part, je n’y voyais que de la confusion et la reconnaissance de la faiblesse de notre position, et je me disais que jamais les Québécois n’allaient lire tout cela avant de voter. Je suis d’ailleurs convaincu qu’ils ne l’ont pour la grande majorité jamais fait et qu’ils ont voté selon les trois tendances que j’ai identifiées plus haut.

La souveraineté-association n’était donc qu’une stratégie pour améliorer la situation des Québécois sans aller jusqu’à l’indépendance. En sommes-nous encore là ? Non.

Je sais que je vais en indisposer un certain nombre en poursuivant sur cette voie, mais ceux-ci devraient voir que le Canada n’aurait aucune obligation de négocier de bonne foi si nous n’empruntions pas la voie référendaire pour parvenir à l’indépendance. C’est un « pensez-y bien ».

Mais en même temps, la séquence des événements est claire. À partir du moment où les Québécois prennent la décision de former un État indépendant, on passe aux négociations sur les modalités de la sécession. Pas sur autre chose.

La conséquence de cette décision est de sonner le glas pour l’option de la souveraineté-association. Plus question de laisser miroiter la perspective d’une association avec le Canada pour attirer les sceptiques à l’indépendance. Ceux qui s’inquiètent de voir disparaître cet argument de vente devraient au contraire se réjouir, parce que cet argument de vente rendait notre option très vulnérable. Il suffisait qu’un politicien du Canada dise « Y’en aura pas d’association ! » ou qu’un Pratte écrive « Comment pouvez-vous être si sûrs que vous parviendrez à la négocier ? » pour que le bel édifice s’écroule.

Dorénavant, les promoteurs de l’indépendance devront utiliser un argument très simple pour rassurer les Québécois: une carte géographique. Et ils pourront leur dire, « Regardez bien où est situé le Québec et la position privilégiée et stratégique qu’il occupe. Après l’indépendance, s’il n’y a pas d’association, il n’y aura plus de Canada, il sera partagé en deux, et nous contrôlerons toutes les voies de communication entre les deux à l’exception des voies aériennes ». Et ils pourront rajouter sans risque d’exagérer ou de se tromper « Après l’indépendance, c’est le Canada qui nous courra après pour mettre sur pied une association. Sans association, Toronto ne sera qu’un croupion, et l’Ontario une grande banlieue du Michigan. Vous avez vu dans quel état est le Michigan ? ».

Quand on y pense… Le nombre de fois qu’on s’est fait peur à nous-mêmes, le nombre de fois qu’on a eu peur de notre ombre en plein jour, c’est à en brailler!

Source: Vigile.net

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  1. 1 Michel Laurence Le 6 novembre 2010 à 10h09

    Monsieur Le Hir, je vous retourne le clin d’oeil que vous m’avez fait hier dans mon texte intitulé : LA PEUR !
    http://bit.ly/aGYm5r

    En mai 2009, j’ai publié dans Vigile un texte écrit en janvier 2009 , en voici un extrait :

    Manifeste pour un Québec fier !
    Il nous faut changer de vocabulaire

    Les mots qu’on utilise sont finis, dépassés, périmés.
    
Il nous faut tout changer,
    
Jeter par-dessus bord
    
Ces mots qui nous ont fait du tort.

    Ces mots euphémiques qu’on a élevés comme un brouillard

    Sur notre intelligence des choses.
    
Ces mots antagoniques.
    
Il nous faut des mots qui nous définissent nous-mêmes,

    Pour nous-mêmes, et non plus contre personne.
    
Il est de toute première importance d’oublier le mot « Souveraineté »

    Parce qu’il est plein d’associations.
    
Finie l’insignifiance,

    Il nous faut des mots chargés d’histoire,
    
Des mots signifiants,

    Des mots qui disent les choses plutôt que de les taire

    Des mots comme patrie, patriote, patriotisme, indépendance.
    … (le texte continue ici) http://bit.ly/dgByfZ

    J’établissais alors les fondations sur lesquelles le R.I.N. allait renaître.

    Le Rassemblement pour l’indépendance nationale (R.I.N.) est un mouvement citoyen. Le R.I.N. n’est pas un parti politique. Le R.I.N. ne se transformera pas en parti politique. La mission du R.I.N. est de rassembler les indépendantistes de la société civile québécoise pour travailler à l’indépendance du Québec. Un mouvement citoyen assez puissant pour que l’Assemblée nationale déclare l’Indépendance du pays du Québec : un État indépendant, démocratique, pacifique, laïque, écologique, un pays qui reconnait l’égalité entre les femmes et les hommes, un pays dont la seule langue officielle sera le français, un pays libre de ses choix politiques, économiques, juridiques et sociaux, libre de ses alliances et pleinement maître de son destin, le tout dans le respect des Premiers Peuples, en reconnaissant, notamment, la nécessité d’assurer la pérennité de leurs langues et de leurs cultures ancestrales.

    http://bit.ly/99MMPL
    Bienvenue au R.I.N. !

    Note : Il est encore temps que les patriotes se joignent à nous avant notre première conférence de presse.

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Cet article de 1,544 a été rédigé par Richard Le Hir il y a 13 ans et 5 mois, le samedi 6 novembre 2010.

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