Le jeudi 14 octobre 2010

SociétéQuébec

En 1970, le Québec se barricade sauf la petite maison de la radio à Lévis

LS-Radio, l’embryon d’une radio purement québécoise

Par S.A. Guay

Il y a quarante ans, en septembre 1970, Michel Trahan, un animateur de radio pas comme les autres, et sa bande de copains à l’imagination sans limites, révolutionnent le monde des médias québécois sur les ondes de CFLS (LS-Radio) à Lévis. L’aventure dura à peine neuf mois mais s’inscrira à jamais dans l’histoire…

Il y a quarante ans, en septembre 1970, Michel Trahan, un animateur de radio pas comme les autres, et sa bande de copains à l’imagination sans limites, révolutionnent le monde des médias québécois sur les ondes de CFLS (LS-Radio) à Lévis. L’aventure dura à peine neuf mois mais s’inscrira à jamais dans l’histoire grâce à l’innovation de sa formule caractérisée par la participation des auditeurs et la flexibilité de la programmation. On en parlera jusque dans le Vancouver Sun et même à l’ONU qui offre à l’équipe de passer sur ondes courtes pour une diffusion internationale.

Dans une entrevue exclusive accordée par Michel Trahan, directeur des programmes, et Gaston Binet, animateur, le 22 septembre dernier au siège social de la Fondation littéraire Fleur de Lys à Lévis, les deux artisans de LS-Radio nous ont livré de nouveaux détails croustillants au sujet de cette aventure radiophonique historique.

Les p’tits hommes verts débarquent !

Gaston Binet entre en ondes pour la soirée. Un auditeur lui téléphone et l’appel est transmis en ondes : «Il y a des p’tits hommes verts de chaque côté de la station». Il abandonne son micro pour aller voir de ses propres yeux ce qui se passe dehors et, chose faite, il revient en studio : «Oui, il y a des p’tits hommes verts dehors». Puis, un autre auditeur intervient : «Je viens de traverser le pont de Québec et moi aussi j’ai vu des p’tits hommes verts».

Les appels des auditeurs voyant ici et là des p’tits hommes verts se succèdent et on sent une certaine inquiétude. Soudainement, une panne de courant se produit dans la région; la rive-sud et le rive-nord sont plongées dans le noir. L’inquiétude grandit. «Les p’tits hommes verts, raconte Gaston Binet, sont entrés dans la station, ont regardé ce qui se passait et sont sortis sans dire un mot.» Les rapports d’auditeurs inquiets par les p’tits hommes verts arrivant un peu partout se multiplient en ondes. Certains téléphonent à la police. Gaston Binet, qui devrait fermer la station à 1 heure du matin décide de rester en ondes jusqu’à trois heures devant l’insistance de son auditoire.

Le matin venu, Michel Trahan arrive à la station et se retrouve devant une énorme pile de messages. Parmi ces derniers, une note de rappeler la police de Ste-Foy. «Vous avez fait peur au monde hier avec vos p’tits hommes verts en pleine panne de courant», lui rapporte l’agent de police.

Les p’tits hommes verts, c’était le nom donné par le premier auditeur en ligne ce soir-là aux soldats de l’armée canadienne en déploiement au Québec lors de la Crise d’octobre. Mais jamais personne ne les désigna de leur vrai nom, préférant l’expression «les p’tits hommes verts», sans doute pour éviter les représailles. Mais pour les auditeurs ne pouvant pas constater de visu la présence de ces p’tits hommes verts, l’expression laissait planer l’idée… d’extraterrestres.

«Ce n’est que plus tard dans la journée que nous avons fait le rapprochement entre notre soirée des p’tits hommes verts et le canular d’Orson Welles» se rappelle Trahan et Binet. En effet, le 4 octobre 1938 sur les ondes radio de CBS à New York, le dramaturge Orson Welles diffuse une adaptation théâtrale de «La guerre des mondes» de HG Wells au cours de laquelle un présentateur de CBS annonce et commente l’arrivée des Martiens sur Terre. Près d’un million d’auditeurs se feront prendre au jeu et croiront alors que les États-Unis sont attaqués par les Martiens.

Les soldats en permission de l’armée stationnée au port de New York seront rappelés en service pendant l’émission. LS-Radio venait donc de répéter, à une moindre échelle, l’expérience à Lévis à une différence prêt : Orson Welles avait tout planifié lui-même tandis qu’à LS-Radio l’initiative revient aux auditeurs, et ce, grâce à la formule d’animation qui permettait aux animateurs de transmettre en ondes les appels des auditeurs en tout temps.

La «visite» est arrivée

Moins d’un mois après son entrée en ondes à LS-Radio, Michel Trahan et son équipe se retrouvaient donc en pleine Crise d’octobre. Pendant cette période, Yvon Dufour, le directeur général de la station, avise son directeur des programmes, Michel Trahan, de se préparer à se joindre à lui pour recevoir la «visite». Puis, un matin, monsieur Dufour joint Michel Trahan : «La «visite» est arrivée, viens me rejoindre à mon bureau».

La «visite», c’était le code pour les autorités policières impliquées dans la Crise d’octobre. Dans le bureau de monsieur Dufour, la police provinciale, la Gendarmerie royale du Canada et l’armée. Michel Trahan arrive avec une petite boîte qu’il place à ses côtés le temps de la rencontre. À la fin de cette dernière, les invités rassurés sur les intentions de LS-Radio, monsieur Dufour donne la parole à Michel Trahan. Il saisit sa petite boîte, se lève et en sort quelques exemplaires d’un quarante-cinq tours de Ginette Reno et en remet un à chaque invité. Seul Michel Trahan pouvait penser à une pareille conclusion de la rencontre avec la «visite». Comble du succès de l’opération, l’un des invités demande une deuxième copie du disque de Ginette Reno. À LS-Radio, on savait comment déstabiliser toutes appréhensions possibles face à la liberté des ondes, ce qui n’était rien en pleine Crise d’octobre.

La station se présentait avec succès comme le pôle positif face à Montréal alors devenue bien malgré elle un pôle négatif avec cette Crise d’octobre.

La visite à l’Organisation des Nations Unies (ONU)

De retour d’un voyage à Haïti, Michel Trahan est accueilli en ondes par un collègue qui lui pose une question toute simple : «Pis, ton voyage en Haïti, Michel ?». La réponse vient après une courte hésitation et a tout pour surprendre l’auditoire : «Il a neigé à Port-au-Prince», lance Michel Trahan… en référence à la chanson de Jean-Pierre Ferland. Puis le téléphone sonne, on demande monsieur Trahan. «Comme ça il a neigé à Port-au-Prince» reprend l’auditeur qui se présente : «Je suis l’ambassadeur d’Haïti à l’ONU. Je suis de passage à Québec et j’aimerais vous rencontrer». Les échanges entre les deux hommes se concluront sur une invitation à venir présenter la formule de LS-Radio à la direction de la radiodiffusion de l’ONU à son siège social à New York. Une lettre d’invitation officielle suivra et Michel Trahan invite son collègue animateur André Rhéaume à l’accompagner dans la «Big Apple».

La nouvelle fera rapidement le tour du Québec. À la veille de son départ, Michel Trahan reçoit quelques appels de menaces : «Ne va pas vendre notre radio aux Américains.» Sur la première page de l’hebdomadaire la Tribune de Lévis on voit les deux représentants de LS-Radio monter à bord de l’avion sur le tarmac de l’aéroport de Québec.

L’objectif de la rencontre a tout pour permettre de cerner la nouveauté de la formule radiophonique expérimentée à Lévis. L’ONU veut que l’équipe de LS-Radio déménage à son siège social, dans les locaux de la direction de la radiodiffusion, et diffuse sur ondes courtes pour devenir internationale.

Michel Trahan se souvient de la réaction des Français lors de cette réunion à l’ONU : «Votre formule de radio n’est pas bonne pour l’Afrique». Michel Trahan rétorque : «Notre formule est universelle». Michel Trahan garde aussi en mémoire la question adressée à André Rhéaume, jusque-là plutôt silencieux : «Qu’est-ce que vous pensez de l’ONU ?». La réponse témoigne de la franchise qui fait alors la marque de plusieurs animateurs de LS-Radio : «C’est une patente qui ne marche pas. Je n’ai aucune confiance dans l’ONU.»

Finalement, André Rhéaume dira qu’il n’a pas l’intention de faire de la radio dans un «bunker» et Michel Trahan ajoutera «Nous autres, ça se passe à Lévis». Ainsi venait de prendre fin le rêve de l’ONU de s’approprier la formule de Lévis. Quarante ans plus tard, Michel Trahan n’a aucun regret.

Mais avant de quitter l’édifice, les deux comparses de LS-Radio rendent une petite visite au bar de l’ONU. «Je me rappelle, raconte Michel Trahan, que l’un des deux ambassadeurs sur place m’a demandé, en regardant la carte du monde en bronze : «Pourquoi voulez-vous vous séparer, le Québec ? Le Canada est un si beau pays.» Et seul Michel Trahan pouvait servir une telle réponse : «On ne veut pas se séparer. On veut se souder (au reste du monde)».

Une visite de courtoisie à l’ambassadeur du Canada conclut le voyage. À la suite de la réception de la lettre d’invitation officielle de l’ONU, Michel Trahan s’était demandé s’il devait en aviser le l’ambassadeur canadien. «Non, c’est LS-Radio l’invitée, non pas le gouvernement canadien» se dit-il. Il prit l’initiative d’une courte visite improvisée à l’ambassadeur du Canada. «Oui, nous sommes au courant de votre visite à l’ONU» affirma l’ambassadeur en ajoutant : «Si vous voulez, je peux vous mettre en contact avec Pierre Elliot Trudeau (alors Premier ministre du Canada)». «Non, non, ce ne sera pas nécessaire» répondit Michel Trahan, davantage préoccupé par les aspirations du Québec que celles du Canada.

«Où vous prenez ça cette musique-là ?»

La programmation musicale de LS-Radio se distinguait de celles de toutes les autres stations parce qu’elle se soustrayait volontairement à l’influence de l’industrie et des agents d’artistes. À la question «Où vous prenez ça cette musique-là ?», Gaston Binet répondait simplement «Il y a deux côtés à un 45 tours» ou «Une plage plus loin que celle de l’industrie» en parlant des 33 tours. «Quand on entrait en studio, on était en plein contrôle. On avait le volant dans les mains.» explique Gaston Binet.

«Je me souviens de la sortie de la chanson «My Sweet Lord» de George Harrison. On l’a fait joué au moins six fois en boucle. L’aventure nous demandait beaucoup d’énergie et nous étions un peu fatigués au moment de la sortie de cette chanson et elle agit sur l’équipe comme un «Red Bull», raconte Gaston Binet.

Improviser au lieu de suivre des feuilles de route préétablies en discothèque requiert effectivement beaucoup plus d’énergie mais l’aventure de LS-Radio a transformé à jamais à la fois les animateurs et les auditeurs de l’époque, tout comme leurs relations.

Invités partout, même là où on ne l’attendait pas!

«Nous étions invités partout, des communes aux petits fours» se souvient Gaston Binet. «Un soir, on soupait à la bonne franquette avec des jeunes, et le lendemain, nous dégustions des petits-fours chez un médecin ou on prononçait un discours devant le personnel d’une commission scolaire.» LS-Radio rejoignait toutes les classes de la société pour ne pas dire qu’elle fondait toutes les classes en une seule.

Michel Trahan se rappelle de l’invitation faite à LS-Radio pour participer à une soirée de débat au sujet de la fameuse murale de Jordi Bonet au Grand Théâtre de Québec. Lorsque LS-Radio s’installe sur la scène avec les autres participants au débat, un fonctionnaire présent dans la salle s’interroge : «Mais qu’est-ce qu’LS-Radio fait là ? Ce n’est pas un parti politique.» En effet, seuls les partis politiques intéressés pouvaient occuper la scène du débat. Mais les organisateurs ne pouvaient pas entrevoir la discussion sans la participation de LS-Radio. Voilà une belle démonstration des privilèges accordés aux animateurs de LS-Radio invités partout, vraiment partout, même là où on ne l’attendait pas.

Meilleurs moments

Michel Trahan ─ «Mon meilleur moment, s’il faut en choisir un, c’est lorsque les gens de CHOM-FM, la radio anglophone la plus populaire de Montréal, sont venus nous rencontrer à Lévis. Jusque-là, on disait que la meilleure radio était anglophone. Par exemple, quand les gens revenaient de voyage aux États-Unis, ils s’empressaient de souligner l’originalité de la radio à Los Angeles et à New York. Et là, pour la première fois, sans doute, c’était les anglophones qui s’intéressaient à notre radio, à LS-Radio, l’embryon d’une radio purement québécoise. Je me souviens encore d’attendre les gens de CHOM-FM sur le perron de la station, fier comme un Maire français en apparats accueillant ses petits cousins d’Amérique. Je me voyais avec une ceinture fléchée autour de la taille. Je n’oublierai jamais cet événement.»

Gaston Binet ─ «Mon meilleur moment de LS-Radio… C’est l’aventure elle-même, toute l’aventure, parce qu’elle m’a transformé profondément, tant sur le plan personnel que professionnel. Je ne voyais plus les choses comme avant, j’en avais désormais une conscience plus large et plus profonde. À la fin de l’aventure, il m’était impossible de revenir en arrière, de faire de la radio traditionnelle. Par exemple, après LS-Radio, je suis entrée à Radio-Canada dans l’équipe de l’émission de contre-culture. Un soir, nous nous sommes mis plusieurs stations de radio ensemble et nous nous répondions en chanson. Le Saguenay choisissait une chanson et Montréal lui répondait avec une autre chanson. Ça, c’est purement et simplement du LS-Radio. C’était de l’improvisation. On était nous-mêmes, au bon endroit, au bon moment, avec la bonne équipe. Et on était conscients que l’aventure ne durerait pas, ce qui nous incitait à vivre intensément chaque moment. Il n’est donc pas étonnant qu’on nous parle encore de cette expérience radiophonique unique quarante ans plus tard.»

Le Rapport Z

En 1970, quelques mois avant l’arrivée de l’équipe de LS-Radio à l’antenne, le gouvernement du Québec se dote d’un ministère des communications et Jean-Paul L’Allier y sera nommé par le Premier ministre Robert Bourassa. Évidemment, le nouveau ministère suit de près l’aventure de LS-Radio et les pressions se font sentir à la fin de l’expérience pour une intervention gouvernementale assurant l’avenir de la formule.

Monsieur L’Allier mandate alors un sous-ministre afin de lui faire rapport, ce sera le fameux «Rapport Z». Michel Trahan aura l’occasion de rencontrer le ministre pour en discuter. «Dites-moi, qu’est-ce qui s’est passé à LS-Radio ?» demande le ministre à Michel Trahan. «Ce qui s’est passé… Vous le savez, vous étiez à l’écoute. Nous avons là les prémisses d’une vraie radio québécoise.» de répondre l’ancien directeur de programme de LS-Radio. La discussion ne faisait que commencer. Quelques mois plus tard naissait sur le campus de l’Université Laval la première radio communautaire au Québec (CKRL-FM) avec l’appui du ministère des Communications du Québec.

Appel à tous

La Fondation littéraire Fleur de Lys s’est donnée pour mission de perpétuer la mémoire de la belle aventure de LS-Radio (1970-71). À l’occasion du quarantième anniversaire de cette révolution radiophonique, l’organisme lance un appel à tous afin de recueillir souvenirs et commentaires en vue de la publication d’un livre. Déjà, on trouve sur le site Internet de la Fondation un article dévoilant d’autres détails intéressants qui permettent de comprendre toute l’ampleur de l’aventure.

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Cet article de 2,647 a été rédigé par Serge-André Guay il y a 13 ans et 6 mois, le jeudi 14 octobre 2010.

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