Le vendredi 15 janvier 2010

ÉconomieQuébec

Le Québec floué de plus de 10 milliards par Toronto!

Le fédéral utilise cette crise comme prétexte pour faire perdre au Québec sa commission des valeurs mobilières

Par Jean-Claude Pomerleau

Je doute que la meute de journalistes qui pourchassaient Vincent Lacroix, redirigent leurs ardeurs vers l’Ontario pour tirer la situation au clair. Et nous expliquer comment le Québec s’est fait flouer de plus de 10 milliards par Toronto !

La crise du papier commercial (PCAA) a entrainé des pertes de plus de 10 milliards pour les institutions financières québécoises: Caisse, Banque Nationale, Mouvement Desjardins (première perte en 108 ans), etc. De plus, la Caisse de dépôt a dû prendre à sa charge la restructuration de l’ensemble de ce marché de 33 milliards suite à son effondrement. Bref, le Québec a écopé lourdement de ce produit toxique venu de Toronto. Un malheur ne vient jamais seul, puisque le fédéral utilise cette crise comme prétexte pour faire perdre au Québec sa commission des valeurs mobilières.

La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, l’Autorité des marchés financiers du Québec et l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières ont mené une enquête conjointe sur les pratiques des institutions qui vendaient les investissements à court terme. Des responsables de ce désastre financier ont été désigné: Coventree, le promoteur qui a fabriqué ces PCAA non bancaires, qui conteste sa responsabilité, et les institutions financières qui les ont distribués, lesquelles ont reconnu leur manque de diligences à mieux informer leurs clients et acceptent de payer de lourdes amendes.

Un seul acteur de cette saga échappe au blâme: les agences de notation de crédits, notamment DBRS (Toronto). C’est pourtant cette agence qui a accordé à ces PCAA non-bancaires la notations AAA, sans laquelle ces produits toxiques n’avaient aucune chance de trouver un seul client institutionnel. Ces agences sont donc les premières responsables de la crise… Pourquoi échappent-elles à tous blâmes? J’y réponds plus loin.

Pour le moment il importe de comprendre le rôle des agences de notations de crédits dans la crise.

La responsabilité des agences de notation de crédit

Pour comprendre pourquoi les agences de notations de crédit ont été les premières responsables de la crise du papier commercial (PCAA non-bancaire), il faut savoir que ces produits dérivés sont très complexes, composés d’une multitude de titres de dettes différents, avec des échéances différentes et des risques différents; c’est cet agrégat que l’on a revendu à la pièce (titrisation).

Pour juger de la complexité d’un PCAA, il s’apparente à un autre produit dérivé, Le Corporated Debt Obligation (CDO) : « La modélisation d’une seule tranche de CDO nécessitait 3 heures de calcul pour l’un des ordinateurs les plus puissants des USA (John Thain, ex PDG Merrill Lynch)1 . »

On comprend que, et l’acheteur, et le vendeur dépendaient presque aveuglément des agences de notations de crédits pour se faire une idée du risque. Or ces agences ont failli à la tâche, car elles étaient souvent placées en conflits d’intérêts: payées par les promoteurs du produits pour en évaluer la qualité (comme si le Guide Michelin se faisait payer par les restaurants pour leurs distribuer des étoiles!). Selon l’administration américaine, elles seraient les premières responsable de la crise financière: “The Obama administration’s plan to reform credit rating agencies, considered key contributors to the economic crisis because of their excessively glowing debt outlooks for mortgage products.”2

Une enquête sur l’agence Moody (prononcer maudit) a confirmé des cas de manipulations graves d’évaluations de risques. Rappelons que Moody a refusé de noter les PCAA de Coventree, à cause du manque de garantie fiable contre une rupture de marché. Trop baloney pour eux, mais du filet mignon pour le Québec.

Au Canada, le même constat de laxisme et de conflits d’intérêts a aussi été fait pour les agences de notations de Toronto, dont DBRS, liée à Coventree :

But the one party that wears it more than anyone else is Canada’s DBRS Ltd. While U.S. rating agencies refused to endorse Canadian paper because of the OSFI-created bank loan flaw, DBRS jumped in and gave the notes its highest ratings. Without the DBRS rating, flawed Canadian ABCP would likely never have found a buyer. Also worthy of question is DBRS’s close relations with ABCP issuers. The firm earned commissions on the notes it rated and wasn’t always quick to share bad news with investors. It had become such a market booster that it rushed to reassure investors it “has no concerns” about the quality of ABCP issued by Toronto’s Nereus, even though the firm was reeling from a management exodus and legal battle with its parent Coventree Inc.3

L’agence de notation DBRS de Toronto fut la seule à accorder une note AAA sur le PCAA non-bancaire que Coventree a produit à la tonne. Sans cette notation, ce produit n’aurait pas trouvé preneur auprès des investisseurs institutionnels (la Banque Nationale et le Mouvement Desjardins se fiaient à l’expertise de la Caisse en cette matière) et le Québec aurait évité des pertes d’au moins 10 milliards!

Pourquoi l’agence de notation DBRS de Toronto n’a pas été mise en cause pour la crise du papier commercial? Parce que ces agences sont de juridiction fédérale! Et que si elles avaient été blâmées, cela aurait mis en cause la responsabilité du fédéral à mieux encadrer et surveiller ces agences, alors même qu’il veut imposer une commission des valeurs mobilières nationale. Comment prétendre alors qu’il est mieux à même de protéger les épargnants du Québec devant cette grave incompétence.

Coventree

Coventree, par qui le malheur du papier commercial arrive, fait maintenant l’objet d’une plainte de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, qui lui reproche d’avoir trompé le marché (misleading). Entre autres, d’avoir caché des informations à ceux qui transigeaient ces titres. Mais pas à tous, certains auraient été avisés, juste avant l’effondrement du marché en août 2007, de la vraie nature des problèmes liés aux PCAA non bancaires (les initiés de Toronto); et d’autres se faisaient dire que tout va bien, madame la Marquise, dont la Caisse.

Ce qui explique qu’elle a été la dernière à en acheter alors que les initiés de Toronto “dumpaient” sur la Caisse leurs produits qu’ils savaient toxiques: « The Ontario Securities Commission is out to make a case that when it came to ABCP, there was grim but realistic information available to market insiders, while a shiny, happy picture was painted for the rest of the investing world.4 » (Remarque: ABCP est le terme anglais pour PCAA)

Donc jusqu’à la toute fin, Coventree se servira de la Caisse de dépôt comme un déversoir pour ces produits qu’elle savait toxiques. Comment expliquer que la Caisse, qui a une expertise de renommée internationale, ait pu se faire instrumentaliser par cette “binerie” de Toronto, dont elle avait été le principale actionnaire lors de l’émission public d’action (2006). Incompétence ou autre chose? Qui a fait quoi? Quand?

L’audition de la plainte contre Coventree se poursuivra en janvier devant la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario. L’occasion pour les médias du Québec de se rendre à cette audience pour braquer des micros sous le nez des administrateurs mis en cause. Histoire de leur poser quelques questions… Qui a fait quoi et quand pour que cette petite « binerie » de Toronto réussisse à instrumentaliser la Caisse pour qu’elle devienne son principal actionnaire, ce qui lui a permis de devenir le plus gros promoteur de PCAA non-bancaire au Canada: 16 milliards de dollars! Et ensuite en faire son meilleur client, ce qui a occasionné des pertes de milliards de dollars.

Je doute cependant que la meute de journalistes qui pourchassaient Vincent Lacroix, redirigent leurs ardeurs vers l’Ontario pour tirer la situation au clair. Et nous expliquer comment le Québec s’est fait flouer de plus de 10 milliards par Toronto !

Dans un texte publié en Février 2009, juste avant la publication des résultats désastreux de la Caisse, j’avais identifié DBRS et Coventree comme étant les principaux responsables des pertes liées au PCAA non bancaires. J’avais ajouté à l’époque:

Il faut préciser au passage que Coventree est présentement sous enquête de la part de la Commission de valeurs mobilières de l’Ontario pour cette émission publique d’actions en 2006, à laquelle a participé la CDPQ. Les résultats de cette enquête serviront sans doute d’argumentaire pour la création d’une commission des valeurs mobilières unique au Canada, comme le souhaite le gouvernement Harper. Tout se tient. Il faut ajouter que la perte possible de “notre” Commission des valeurs mobilières serait évidemment un dommage “collatéral” qui s’ajouterait au bilan désastreux de la Caisse. Un malheur ne vient jamais seul.

Dernière heure

Les institution financières pénalisées pour leur négligence dans la distribution du PCAA non-bancaire: La Banque Nationale, 75 millions. Les autres institutions financières qui auront à payer des pénalités sont Scotia Capitaux (29,2 millions), la Banque CIBC (22 millions), la Banque HSBC Canada (6 millions), Valeurs mobilières Banque Laurentienne (3,2 millions), la Financière Canaccord (3,1 millions) et Valeurs mobilières Credential (200 000 dollars).

La Banque Nationale paie pour s’être faite avoir par Toronto. Cela ne l’empêchera pas de demeurer sous son influence. La preuve, elle ne s’oppose pas à la perte de la commission des valeurs mobilières du Québec.

  1. Voir John Thain: It’s ‘Unfortunate That the American Dream has bee demonized’, sur Knowledge@Wharton, Université de Pennsylvanie, p.3 []
  2. Voir Obama’s credit rater proposal has tepid to poor response sur MarketWatch []
  3. Voir King Oleg! Currie’s conquest!! Revenge of Danny Chavez, McCaughey’s banana peel! The Paper Freeze, Steady Eddie’s royalty ruckus sur GlobeAdvisor.com []
  4. Voir ABCP allegations are dynamite dans The Globe and Mail []

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Cet article de 1,498 a été rédigé par Jean-Claude Pomerleau il y a 14 ans et 2 mois, le vendredi 15 janvier 2010.

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