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Lutte au déficit (3ième partie)

Nous l’avons constaté dans les articles précédents (1ère partie et 2ième partie), la crise économique implique des dépenses exceptionnelles en même temps que des diminutions importantes des revenus, ce qui entraînent les finances publiques dans une situation tout à fait préoccupante. Tant aux États-Unis qu’au Canada et au Québec, la dette publique va probablement atteindre le niveau de 100% du PIB dans un horizon de moins de cinq ans. Or, les dernières décennies de la vie politique nous ont amplement démontré qu’un tel niveau de dette est jugé inacceptable par la population.

La conjoncture économique du Québec est relativement favorable lorsqu’on la compare avec le reste des pays développés. Mais la situation financière du gouvernement n’est pas aussi attrayante. D’abord il est ridicule de comparer les finances publiques provinciales avec celles des autres pays. Il faut le faire avec les autres provinces. Or la dette du Québec est la pire de toutes les provinces (25 points de % au-dessus de la moyenne des provinces). Et si on veut se comparer avec les autres pays, la dette publique totale du Québec (provinciale plus notre part de celle du fédérale) se situe déjà, aujourd’hui, au-delà de 60 % du PIB, qui représente la cible de dette publique jugée soutenable par les pays de l’Union européenne.

Financer les dépenses publiques par la dette revient à emprunter de l’argent aux plus riches au lieu de percevoir des impôts sur leurs revenus. Selon les prévisions actuelles du gouvernement1 , le service de la dette passerait de 10% à 14% des revenus de l’État, à un niveau qui représenterait le troisième poste de dépenses, tout près de 50% des dépenses totale pour le fonctionnement de l’État. Ne pas se préoccuper du poids de la dette, c’est de la pure inconscience. De toute façon, s’il y a une chose que l’on peut être sûr, c’est qu’à partir de l’an prochain la lutte au déficit fera partie des éléments majeurs, sinon prioritaires, de tous les partis politiques qui ont des prétentions légitimes à gouverner au Québec et qu’ils seront soutenus par la vaste majorité de la population.

Mais on a aussi vu, dans les articles précédents, que les analystes économiques les plus avisés appellent les gouvernements à faire appel à des politiques privilégiant la hausse des revenus pour combler les déficits plutôt qu’à des diminutions des dépenses. Ils prônent également des stratégies visant à diminuer les inégalités plutôt qu’à poursuivre le modèle ultralibéral des trente dernières années, qui a conduit à un monde traversé par de plus en plus d’inégalités, ces inégalités croissantes ayant par ailleurs été identifiées comme l’une des causes structurelles de la crise que nous venons de traverser.

Les coupures dans les dépenses ne peuvent absolument pas être une solution envisageable au Québec. Comme le signale Pierre Beaulne sur le site ÉconomieAutrement.org, le Québec se classe au deuxième rang canadien pour ce qui est du contrôle des dépenses. Au cours des cinq dernières années, la croissance annuelle moyenne des dépenses au Québec a été de 4,6 %, comparativement à 6,6 % pour l’ensemble du Canada. À ce niveau, le gouvernement du Québec a déjà été au-delà de ce qu’il est possible de faire sans mettre en danger la capacité de l’État à offrir des services publics de qualité à la population. Malgré cela, il propose de ramener la croissance des dépenses à 3,2 % pour 2009-2010 et pour les quatre années qui suivent.

Dans ses prévisions budgétaires de l’an passé et dans les nouvelles prévisions qui circulent présentement dans le cadre de la consultation pré-budgétaire, le gouvernement du PLQ indique aussi sa volonté de miser sur l’indexation des tarifs sur les services pour combler ses déficits. Pour diverses raisons, ça ne nous apparaît pas particulièrement pertinent.

D’abord, la contribution de cette mesure à la diminution du déficit serait peu significative alors que, de toutes les formes d’imposition, l’augmentation des tarifs sur les services est la plus régressive. Ensuite, la hausse des tarifs sur les services publics donnent un signal qui va à l’encontre de ce que devrait être une véritable fiscalité verte, dans une stratégie de développement durable: inciter les individus à transférer leurs dépenses en biens à forte intensité carbone vers les services à faible intensité carbone en taxant davantage les biens, en fonction de leur production de GES. Dans cette optique, les services liés à la santé, à l’éducation et à la culture ne doivent pas être taxés davantage, bien au contraire, mais privilégiés comparativement à toutes autres formes de dépenses des ménages.

Évidemment, tout le monde comprend que hausser les taxes et les impôts dans le contexte actuel risquerait de faire déraper la fragile reprise que nous vivons. Sauf si les hausses d’impôt s’appliquaient d’abord sur les ménages aux revenus élevés. En effet, dans la mesure où ces familles sont celles qui ont les taux d’épargne les plus élevés, la création d’un quatrième échelon à l’échelle de progressivité du régime d’impôt, par exemple à 31% pour les revenus supérieurs à 80 000 dollars, ne devrait pas entraîner une diminution de la consommation, mais une légère diminution de l’épargne.

Une autre mesure pourrait être prise immédiatement et rapporter un demi-milliard dans les coffres de l’État avec un effet négligeable sur l’économie. Selon les données du ministère des Finances pour l’année fiscale 2005, la déduction pour gain de capital aurait coûté à l’État québécois 450 millions de dollars. De plus, cet avantage fiscal n’aurait profité qu’à 8 107 contribuables. Selon une étude réalisée par les chercheurs de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques, 350 des 450 millions de dollars de déductions fiscales de cette mesure, soit 78% de sa valeur, sont allés à des contribuables ayant des revenus supérieurs à 100 000 dollars, la catégorie la plus susceptible d’utiliser les paradis fiscaux pour tricher avec le fisc. On pourrait donc abolir immédiatement cet avantage fiscal avec des effets minimes sur l’économie réelle.

Parlant des paradis fiscaux, le ministère des Finances du Québec évalue à 2,5 milliards de dollars les pertes fiscales annuelles découlant des pratiques d’évasion fiscale. Dans ses prévisions budgétaires, le gouvernement actuel s’est engagé à récupérer des montants croissants de ces pertes fiscales, atteignant près de 1 milliard de dollars par année à partir de 2013-2014. S’il décidait également de faire complètement la lumière sur les malversations dans l’industrie de la construction, en créant une véritable commission d’enquête, il réussirait à récupérer un montant au moins équivalent à la mesure précédente en évitant les fameux dépassements de coûts qui sont devenus monnaie courante depuis quelques années dans les grands projets d’infrastructure.

Du côté des entreprises, je partage la volonté du gouvernement de ne pas presser le citron fiscal pour l’ensemble des entreprises. Mais le gouvernement du Québec devrait s’inspirer des autres pays et envisager d’imposer une surtaxe sur les profits dans certains secteurs d’activités, en particulier dans les secteurs où le chantage des entreprises de quitter le Québec est inopérant: par exemple celui des institutions financières. La formule de la surtaxe sur les profits a l’avantage d’imposer un fardeau supplémentaire à une entreprise que lorsque cette dernière est en position de le supporter. Or, les banques canadiennes jouissent d’une position de quasi-monopole au Canada (un oligopole où la collusion est érigée en règle), ce qui leur permet de profiter d’une rente de situation imbattable: peu importe la situation économique, elles peuvent générer des profits substantiels en « pressant » leur clientèle globalement captive. Une surtaxe permettrait au gouvernement de récupérer une partie de cette rente de monopole.

Le document de consultation pré-budgétaire du gouvernement signale également que les contribuables québécois ont bénéficié d’un allègement fiscal de 5,4 milliards de de dollars en 2009, qui découle des actions prises par le gouvernement Charest depuis 2003. Selon les sondages des dernières années, si les citoyens québécois s’opposent massivement à la hausse de la dette publique, qui n’est rien d’autre qu’un transfert des dépenses actuelles sur les générations futures, ils n’ont par contre pas soutenu majoritairement l’effort du PLQ à diminuer à n’importe quel prix les revenus de l’État.

Parce que les Québécois veulent un État qui a les capacités d’agir, ils étaient majoritairement contre les derniers allègements fiscaux décrétés par le gouvernement. Dans le contexte actuel, où les autres provinces canadiennes devront d’ici quelques années rehausser leur niveau d’imposition pour payer les factures de la crise, le Québec a une marge de manœuvre suffisante pour augmenter les impôts des Québécois d’au moins 1 milliard de dollars à partir de 2012.

Enfin, si le Québec veut combler ses déficits et se donner les moyens supplémentaires lui permettant de lutter efficacement contre la pauvreté et les divers autres enjeux auxquels nous seront bientôt confrontés, il devra envisager de récupérer les deux points de pourcentage de la baisse de la TPS décrétée par le gouvernement Harper. En fait, tout semble indiquer que c’est bien ce que le gouvernement désire que les acteurs sociaux lui suggèrent lors de sa consultation. Et le gouvernement devrait le faire assez rapidement de manière à devancer une possible hausse de la TPS d’un gouvernement fédéral qui fera face à un déficit structurel important d’ici 2014.

Certains s’opposent énergiquement aux taxes à la consommation, faisant l’équation fausse que toutes les taxes à la consommation sont « néolibérales ». C’est complètement absurde. À ce compte là, l’Alberta et les États-Unis seraient très progressistes et les pays scandinaves parmi les plus ultralibéraux. En Suède, la TVA est de 25% (le double des deux taxes applicables au Québec), sauf sur l’alimentation et les services où elle est à 12% et sur les biens culturels à 6%. En général les taxes à la consommation sont plus importantes en Europe, ce qui n’en fait pas des pays nécessairement plus à droite. D’autre part, dans la mesure où des crédits d’impôts remboursables permettent aux plus démunis de récupérer les taxes payées, et même au-delà, elles peuvent avoir un effet de progressivité significatif.

Enfin, il faut penser que le meilleur système fiscal est celui dont les sources de revenus sont diversifiées, avec la base la plus élargie possible. Des revenus gouvernementaux qui ne reposent que sur les taxes ou que sur les impôts conduisent généralement à des effets pervers de fraude érigé en système. La diversification des sources permet d’éviter en bonne partie ces effets. Et plus les dépenses gouvernementales sont importantes, plus ces caractéristiques doivent prévaloir. En ce sens, la récupération des deux points de % de la TPS par la TVQ ne me semble pas une mesure qui poserait problème. Elle rapporterait annuellement des revenus de 2,5 milliards de dollars au gouvernement du Québec, auxquels on pourrait soustraire 400-500 millions en crédits d’impôt rembpoursables.

Ensemble, ces mesures permettraient de combler les défécits du Québec d’ici 2013-2014. Dans la mesure où la situation des autres provinces et du fédéral est encore pire que celle du Québec, ça nous permettrait en même temps de diminuer les écarts entre la dette publique québécoise et celle de ses voisins.

  1. Voir le document de consultation pré-budgétaire []